Voici la sortie d’un livre qui nous réjouit. Issu d’un mémoire de licence présenté à l’Université de Lausanne en octobre 2003 (mais largement augmenté), Les baptêmes princiers aborde un thème encore passablement resté en friche jusqu’à nos jours. Thalia Brero le rappelle elle-même en s’appuyant sur le regret qu’exprimait Philippe Ariès en 1973, dans sa préface à L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, d’avoir laissé de côté la question du baptême. Depuis, quelques études lui ont été consacrées, mais les récits de baptême sont demeurés une source négligée. L’auteur tâche donc de remédier à cette lacune historiographique en y consacrant un ouvrage et met surtout l’accent sur la cour de Savoie en traitant en détail les baptêmes d’Adrien et d’Emmanuel-Philibert, fils de Charles II de Savoie et de Béatrice de Portugal, qui ont eu lieu respectivement le 14 décembre 1522 et le 19 octobre 1528. Les matériaux utilisés la conduisent à évoquer aussi le cérémonial bourguignon, tout comme celui de la cour de France ou même de celle d’Angleterre, pour des périodes allant du XIIIe au XVIIe s. Les cadres géographique et temporel dépassent donc ce que le titre annonce et offrent un panorama européen du cérémonial baptismal à cheval entre le Moyen Age et l’époque moderne. Il s’agit d’ailleurs là d’un point qui mérite d’être soulevé: Thalia Brero, médiéviste, n’a pas hésité à étendre son analyse au-delà des frontières temporelles propres à sa période historique de prédilection.
L’exposé est clair, ponctué de citations parfois savoureuses, et est accompagné d’un important apparat de notes. L’analyse proprement dite s’arrête à la p. 280 et est suivie de huit illustrations, dont quatre sont en couleur, montrant les principaux protagonistes de l’étude et diverses processions baptismales. L’auteur redonne ensuite l’édition du récit de baptême d’Adrien, l’Adrianeo, édité par Auguste Dufour en 1865 mais dont l’original demeure introuvable aujourd’hui. Pour cette raison, elle a repris la version du XIXe s., sans la modifier, mais s’est toutefois risquée dans une traduction en français moderne de ce très beau texte rédigé en italien du début du XVIe s., en offrant la version originale sur la page de gauche et son pendant en français moderne sur celle de droite. A noter que seul le premier livre du récit a été reproduit puisque les trois suivants ne concernent pas direc tement le sujet. Sur une vingtaine de pages s’étale ensuite le récit du baptême d’Emmanuel-Philibert, texte totalement inédit et rédigé en ancien français par le héraut d’armes Bonnes Nouvelles et ponctué d’interventions lyriques du chroniqueur poète Myozinge. Le reste de l’ouvrage est composé de documents annexes qui complètent judicieusement le commentaire historique. L’on y trouve un tableau généalogique de la famille de Charles II; quatre listes reconstituées par l’auteur des processions baptismales d’Adrien, Emmanuel-Philibert, Charles-Emmanuel Ier de Savoie (1567), fils de ce dernier, et François de France (1518); un répertoire biographique d’une quarantaine de pages des personnes citées dans les baptêmes d’Adrien et d’Emmanuel-Philibert; une bibliographie; un index des noms de personnes et de lieux de 25 pages.
La partie analytique se décompose en 8 chapitres principaux. Thalia Brero a d’abord pris le soin d’exposer le contexte historico-politique de la Maison de Savoie à l’époque de Charles II (1504–1553), période généralement peu étudiée. Elle nous présente ensuite ses sources, à savoir les récits de baptême conservés avant, pendant et après le règne de Charles II, et évoque les sources qu’elle a utilisées pour les cours de Bourgogne, Angleterre et France; sources qui, outre les récits de baptême eux-mêmes, peuvent être de nature fort différente (comptes, lettres, traités, listes d’achats, etc.). L’analyse porte ensuite sur les récits de baptême d’Adrien et d’Emmanuel-Philibert avant de se focaliser sur la naissance des petits princes, moment ô combien important pour la pérennité de la dynastie régnante et l’allégeance de la noblesse et des notables. Dans son cinquième chapitre, l’auteur propose une fine et complète description de l’apparat déployé à l’occasion des baptêmes princiers en Savoie en ne perdant jamais de vue ce qui se faisait dans les autres cours. Sont ainsi décrits les modes que connaissaient ces dernières en matière de décoration du palais, de la chambre de gésine, de celle de l’enfant et de la salle de parement. A ce niveau, c’est surtout l’Adrianeo qui a été utilisé comme «guide» pour décrire les différentes étapes constituant le baptême et celui-ci permet d’appréhender de manière assez précise les différents tissus, rideaux, tapis, vêtements de la mère et de l’enfant, avec leur matière et leur coloris, déployés pour ce solennel et fastueux événement. Les deux éléments qui sont la raison d’être des récits de baptême étant la description de cet apparat et la liste des participants à la procession, l’auteur consacre logiquement le chapitre suivant à la procession baptismale. En se servant des récits d’Adrien et d’Emmanuel-Philibert, en les recoupant avec la liste conservée, mais incomplète, de la procession du baptême de François de France et un ouvrage de 1632 dédié au cérémonial savoyard, qui codifie les étapes du cérémonial baptismal, Thalia Brero a tenté d’établir une typologie de ces processions pour le début du XVIe s. Elle concède néanmoins que cet exercice est périlleux et qu’elle a parfois été amenée à créer de toute pièce des catégories d’étude, pouvant déboucher sur quelque incohérence, mais qu’elle signale toujours. Il ressort de cette analyse que les mystères sont habituellement portés par les parrains et marraines (ou leurs représentants) et qu’ils sont autant d’honneurs conférés par le souverain à celui qui en a la charge. L’importance accordée à ces derniers, véritables substituts des parents (généralement absents de ce type de cérémonie) et souvent d’un rang supérieur afin de garantir quelque alliance politique, est traitée dans un septième chapitre, consacré à la cérémonie du baptême. Le huitième et dernier chapitre aborde quant à lui les festivités entourant cet événement (banquets, jeux et joutes).
De cette analyse bien ficelée Thalia Brero arrive au constat que le baptême n’est pas qu’une simple cérémonie religieuse mais qu’il permet d’exalter le lignage du souverain. D’ailleurs, si la partie liturgique est presque entièrement passée sous silence dans les sources elles-mêmes, car sans doute identique tant pour les enfants du peuple que ceux de la noblesse, et par conséquent bien connue de tous, l’historienne a pu relever de nombreux emprunts d’une cour à l’autre, d’une génération à l’autre, mais que la manière de procéder était quasiment la même, tel un canevas répété maintes fois et permettant de maintenir une véritable tradition cérémonielle, dont le but est d’affirmer et de fortifier la puissance du prince sur ses gens, en présentant le souverain en devenir à ses pairs et à ses futurs sujets. Grâce au souci constant de l’auteur à tisser des liens entre les exemples du Moyen Age et ceux de l’Ancien Régime, le passage d’une période à l’autre et ses changements se donnent à voir, faisant de cette contribution un ouvrage majeur sur l’histoire des baptêmes princiers à une époque charnière. En attendant qu’une étude soit consacrée à d’autres rituels, tels les funérailles ou les mariages, Les baptêmes princiers constitue aussi une première contribution à l’histoire plus générale des rituels princiers dans leur ensemble.
Citation:
Lionel Dorthe: Compte rendu de: Thalia Brero: Les baptêmes princiers. Le cérémonial dans les cours de Savoie et Bourgogne (XVe–XVIe s.). Lausanne, 2005. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 57 Nr. 1, 2007, pages 119-120.